Comme Harry Potter à Poudlard, à l’école de l’Invisible !

En quoi la Maison Charles de Foucauld répond-elle 
aux besoins des jeunes de ce temps ?
 Intervention pour les 10 ans - 1er décembre 2017 

Pour répondre à cette question, il aurait pu suffire de relire le numéro 59 de la nouvelle Ratio Fundamentalis enrichie des références citées en note. Elle reconnait dorénavant la propédeutique comme une « étape indispensable de la formation ». Mais cette reconnaissance officielle de la nécessité des propédeutiques ou années de fondation spirituelle nest pas née de nulle part. Permettez-moi d’abord un très rapide historique.

Déjà le Concile Vatican II dans Optatam totius au n°12 écrivait : « Pour fonder de manière plus solide la formation spirituelle et pour que les séminaristes puissent ratifier leur vocation pour une option mûrement délibérée, il appartiendra aux évêques d’instituer, pendant une durée convenable, un entraînement spirituel plus poussé. » 28 octobre 1965.

Puis en 1980, une circulaire de la Congrégation pour l’Education Catholique évoquait cette suggestion. « L’expérience montre qu’une période de préparation au Séminaire, consacrée exclusivement à la formation spirituelle, non seulement n’est pas superflue, mais peut apporter des résultats étonnants ». A la suite de quoi de nombreuses expériences de propédeutiques apparurent dans plusieurs continents : Europe, Amérique, Asie et Afrique. A Paris, c’est en 1984, sous l‘impulsion du Cardinal Lustiger, qu’est fondée la Maison Saint Augustin (soit il y a 33 ans).  

Le Saint Pape Jean Paul II, à la suite des Pères Synodaux de 1990, dans PDV n° 62 – 25 mars 1992, fait à nouveau une recommandation pour une période de préparation humaine, chrétienne, intellectuelle et spirituelle pour les candidats au grand séminaire sans en préciser vraiment les contours. Ainsi, au Séminaire de Rennes, des éléments de propédeutique ont pu être intégrés dans les années 1990 (expériment de pauvreté en première année et 30 jours de St Ignace en 2é année).

42 ans après la première impulsion du Concile Vatican II, en 2007, nous posions ici la pierre de fondation de la Maison Charles de Foucauld pour nos diocèses de la Province de Rennes, associés dès le début avec ceux de la Basse-Normandie, à la demande des Services des Vocations.

À la vue de notre propre expérience à la Maison Charles de Foucauld pendant quatre années et dans la Pastorale des Jeunes pendant près de 15 ans, essayons de comprendre pourquoi cette étape est aujourd’hui, au souhait du dernier document romain, un passage obligé ? Qu’est-ce qui justifie une telle évolution ?

Avant les Père Desgrée du Lou et Bourget qui traiteront chacun d’une optique différente, permettez-moi d’éclairer cette réflexion de convictions personnelles venues de l’observation des jeunes candidats eux-mêmes et de leur besoin. Je voulais au départ me limiter au chiffre symbolique de 7 convictions… Puis je suis rapidement arrivé à 12 ce qui n’est pas moins symbolique.

Avant d’aller plus avant, il faut redire d’abord la grande diversité des candidats en âge, en milieu social, en cursus de formation, en sensibilité ecclésiale. Elle ne s’est pas démentie au fil des ans. Du jeune de 18 ans sortant du bac à l’adulte de plus de 30 ans ayant un bagage universitaire et quelques années de travail salarié et l’expérience affective qui peut aller avec ou pas, il serait très hasardeux de brosser un portrait-type, qui à mon sens sonnerait faux. Méfions-nous ensemble des simplifications et des stéréotypes si facilement colportables.  Aussi ce que je relèverai devant vous tient de grandes tendances qui peuvent, pour la clarté du propos, manquer parfois de nuance. Ayant en face de moi des foucaldiens actuels ou anciens, celui qui ne se retrouverait pas dans l’une ou l’autre conviction que je vais exprimer voudra bien m’en excuser par avance.

1.     Pour enraciner une expérience chrétienne. A la demande du Service des Vocations de mon diocèse, alors que j’étais supérieur de cette maison, il m’est arrivé de rencontrer un candidat à la vie de prêtre qui n’avait aucun problème avec le fait qu’il n’allait pas à la messe et qu’il ne connaissait rien à l’Eglise. Je ne dois d’ailleurs pas être le seul. Sans aller jusqu’à cet extrême, l’expérience chrétienne de certains candidats est parfois légère (elle remonte à l’enfance) ou quasi-absente ou partielle (un fort engagement caritatif pas forcément lié à une vie spirituelle par exemple). Plusieurs ont quasiment découvert la pratique de sacrement du Pardon et celle de l’accompagnement spirituel. On comprend la nécessité, avant d’entrer dans une formation plus poussée, d’une initiation globale aux réalités fondamentales de la vie chrétienne.

2.     Pour une déconnection dans un monde hyper-connecté. L’adaptation des jeunes à ce monde des nouvelles technologies a permis à Michel Serres d’inventer la Petite Poucette, dans ce petit livre exquis où il analyse notre « période d’immense basculement ». Nous ne sommes qu’au début de cette révolution. Et déjà, au lieu d’une condamnation toute illusoire, il nous faut apprendre à vivre avec une utilisation intelligente de ces nouveaux outils de communication. Près de Saint Malo, un hôtel de très grande classe offre à ses clients le luxe d’un week-end déconnecté où l’on pose à l’accueil son portable et où il n’y a pas de réseau WIFI. Pour le temps de purification nécessaire à un choix, il est bon de proposer un usage résonné de ces appareils, ce qui peut être un combat pour certains.

3.     Pour unifier l’âme. On connait l’expression très positive dans la bouche d’un jeune : « c’est l’éclat’ total ». Pour être heureux, éclatons-nous. Mgr Jullien, en son temps, avait déjà très justement remarqué l’ambiguïté d’une telle expression.  Dans un monde multi-culturel et pluri-religieux, rejetant les frontières morales ou physiques, comment ne pas constater la dispersion, pour ne dire l’explosion des normes à grande vitesse.  Nous avons à faire à des jeunes éclatés qui ont pourtant besoin d’unification. Une année spirituelle peut être ainsi le fondement intégrateur et unificateur de toute une vie. Un ancien de la Maison interrogé après avoir poursuivi plusieurs années d’études après avoir quitté la MCdF m’a affirmé que cette année n’avait pas été pour lui du temps perdu mais essentielle pour la suite.

4.     Pour faire grandir une maturité humaine. Mon passage comme supérieur pendant quatre ans ici m’a permis de développer une expertise dans un domaine assez inattendu. Je suis devenu très vite un spécialiste de la Sécurité Sociale étudiante. En effet, je me suis aperçu que certains des jeunes étaient totalement ignorants de ces choses, qui peuvent pourtant avoir leur utilité. Ce petit travers anodin peut cependant illustrer un manque de maturité, d’autonomie. Et même parfois une appétence à rester dans les douceurs de l’enfance. L’expérience m’a montré que l’âge n’est rien en l’affaire. La même année j’ai eu un jeune de 18 ans très mature et un candidat de 30 ans qui s’est révélé peu responsable. La rencontre avec le pauvre peut alors s’avérer très formatrice et fondatrice pour grandir en humanité.
  
5.     Pour affiner sa décision et répondre librement. Le Cardinal Lustiger explique dans un petit opuscule sur le sujet qu’au début de la création de la Maison Saint Augustin, il la présentait comme une année de discernement. Or « nous avons vite éprouvé les difficultés d’une telle définition. Car on risque de confondre ce qui est à proprement parler le discernement des esprits et ce qui relève de la matière d’une décision  (…) Cette confusion nait d’une manière naïve de la vision dont la volonté de Dieu se manifeste. Elle ne peut qu’enfermer celui qui s’interroge dans les incertitudes et les ambiguïtés de ces choix. » Ainsi, si bien évidemment une question de vocation presbytérale est au point de départ la raison de l’entrée à la MCdF, c’est l’ensemble des propositions faite au cours de l’année qui permettront d’affiner paisiblement la décision finale. Les jeunes arrivent à la MCdF à la sortie d’études supérieures ou d’un temps de travail en début de vie professionnelle. Et s’il a bien fallu prendre un peu de temps pour discerner l’appel, rencontrer le SdV, tout cela se fait comme entre « deux portes » avec au mieux une retraite de quelques jours. Aussi c’est avec un certain bonheur qu’ils envisagent cette année pour Dieu, « temps paisible de relecture » m’a dit l’un d’eux qui ne les met pas d’emblée dans les « starting blocks » du Séminaire.

6.     Pour s’enraciner dans une Eglise locale. Dans le village planétaire de Mc Luhan, les frontières de nos diocèses ont volé en éclat. On nait à Quimper. On part habiter à Toulouse avec ses parents. On fait ses études à Paris. On a son premier poste de travail à Hong Kong. Alors quand on vous demande de quel diocèse vous êtes, la réponse n’est pas évidente. Il y a 30 ans, au Séminaire de Rennes, étant moi-même un de ces voyageurs, nous étions encore une minorité de « déracinés ». Cela a bien changé. Aussi le temps d’une découverte ou redécouverte de ses racines anciennes ou à venir est loin d’être inutile. Chacun de nos diocèses a son histoire, ancré dans un terroir, qu’il est bon de connaitre.

7.     Pour apprivoiser le silence et sortir du bruit de fond ambiant.  « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on n'admet pas d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » écrit Bernanos (la France contre les robots, 1946). La circulaire romaine de 1980 écrivait : « les garçons généreux qui se présentent viennent d’un monde où le recueillement intérieur est rendu presque impossible par une surexcitation permanente de la sensibilité et une surcharge de la pensée. » Le silence est tout à la fois une excellente école d’oraison mais aussi une manière d’approfondir la connaissance de soi.

8.     Pour répondre au besoin de se donner, d’une radicalité de vie. La jeunesse est un âge de la radicalité. Si les pavés de 68 sont bien retombés, on aurait tort de penser que l’engagement des jeunes s’est amoindri. Il s’est plutôt trouvé de nouveaux chevaux de batailles. Les exemples sont nombreux et mis en valeur : des coups de cœur caritatifs aux tours du monde en trottinette pour rencontrer les adeptes du coton bio et équitable. Faire ce break d’un an à la MCdF n’est peut-être pas aussi exotique (encore que vivre un an à Saint Pern, Saint quoi ?) mais il peut représenter cette expérience forte tout en restant dans une contrainte de temps réaliste.

9.      Pour nous tenir dans l’espérance d’un Dieu qui appelle. Une chose m’a particulièrement étonné avec la construction des nouveaux bâtiments de la MCdF : voir l’enthousiasme que cette maison suscitait. Aux yeux des jeunes comme de tous les visiteurs : elle était et demeure le témoignage évident de la confiance des évêques et des diocèses de l’Ouest dans l’avenir de nos Eglises et des vocations presbytérales. Si nous comprenons bien avec le Pape François que le temps est supérieur à l’espace, particulièrement lorsque nous pensons à la question du développement d’une vocation, il ne s’agit pas de priver toute signification à l’espace. Et ce lieu alliant l’antique granit breton et la modernité du bois est un signe fort dont la jeunesse a besoin.

10.  Pour rencontrer des prêtres dans leur diversité, qui ne sont ni des supermen adulés ni des prédateurs sexuels honnis ! Nous constatons aisément un brouillage voire un discrédit de l’image du prêtre dans notre société. Certains jeunes en connaissent. Certains ont même rencontré un père spirituel qui fut parfois comme un père de substitution entrainant une certaine tendance à l’adulation. Il y a donc à la fois besoin de mise à distance et de rencontrer la diversité des profils des prêtres diocésains aujourd’hui pour arriver à se projeter. Même si l’exercice est aujourd’hui très périlleux dans ces temps de profonds remaniements pastoraux.

11.  Pour une stabilité affective dans un cadre communautaire face à des relations familiales potentiellement complexes. La maturité affective de chaque candidat est très variable. Le milieu de l’enfance et de l’adolescence ont pu créer des blessures plus ou moins grandes, plus ou moins guéries. Les jeunes de la MCdF n’ont pas été élevés dans un cocon. Il y a donc lieu de créer un climat sécurisant et constructif pour que s’épanouisse une humanité.  

12.  Pour apaiser les divisions intra-ecclésiales. Dans sa dernière homélie à Lourdes comme archevêque de Paris, le Cardinal André Vingt-Trois portait cette forte interrogation sur l’Eglise dans notre pays : « Notre christianisme ne perd-il pas peu à peu de son enracinement dans le grand nombre, avec tout ce qu’il peut y avoir d’incertain, d’imprécis et d’inégal dans l’adhésion personnelle de chacun ? Est-ce que nous ne passons pas du christianisme du peuple au christianisme des individus très soigneusement étiquetés, mesurés, vérifiés ? Mais si peu nombreux ! Cette Église ne risque-t-elle pas de devenir une Église des purs dont on s’apercevra peut-être un jour qu’ils n’étaient pas si purs que leur piété le laissait penser ? » Chacun pourra avoir son avis sur le sujet. Mais la question a le mérite de nous interroger sur les évolutions de l’Eglise en France dans les dernières années et le développement de courants à l’identité affirmée. Cela peut marquer aussi les candidats. La confrontation existentielle d’une vie communautaire et l’attachement au Christ peut ainsi être une bonne émulation.

Finalement, je garde une treizième conviction que je ne développerai pas :
13.  Pour vivre le lien entre Pastorale des Jeunes et discernement vocationnel comme le prochain synode des jeunes nous y invite.

En faisant cette liste, je m’aperçois de toutes les convictions que j’ai laissé de côté et qui pourtant peuvent être nées de l’expérience vécue ici. Je voudrai conclure en racontant cette anecdote des mois de préparations avant l’ouverture de la Maison. Après avoir rédigé la charte constitutive, choisi un lieu, commencé à réunir une équipe pédagogique, je rencontrai les candidats… Avec une certaine appréhension. Leur SdV venait de leur apprendre cette nouveauté… Et moi je parlai d’un projet de papier… Et là, à mon grand étonnement, pas moindre des années plus tard, j’entends encore l’un d’eux me dire, résumant le sentiment de plusieurs autres : « je ne serais pas rentré au Séminaire, si vous ne m’aviez pas proposé l’année de Fondation Spirituelle à la MCdF ». Cela résume bien aussi la teneur de mon propos.


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Au final, pourquoi la Maison Charles de Foucauld ? Non parce quelle serait une préparation intellectuelle au Séminaire. Non parce quelle serait un Club Med de discernement. Mais parce que cest une année de fondation spirituelle c’est-à-dire une école de la Sainteté, autrement dit une école de la Charité car « lamour est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, cest le plus haut témoignage de nous-mêmeCest pour cela que les êtres jeunes ne savent pas encore aimer ; ils doivent apprendre et tout apprentissage est un temps de clôture ». Rilke, Lettre à un jeune poète.  

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