"Tu es un Dieu qui se cache..."
Homélie Jeudi 9 février 2012
Polarisés par l’étrange réponse de Jésus à
cette femme, réponse qui rompt avec l’accueil inconditionnel qu’on a l’habitude
de lui connaître, nous pourrions peut être passé à côté du début de cette
péricope de l’Evangile de Marc que nous venons d’entendre : Jésus se rend
en territoire païen (la région de Tyr). Il entre dans une maison car il voulait
que « personne ne sache qu’il était là » ; il voulait se cacher.
Evidemment dès la phrase suivante, nous apprenons que cela n’a pas marché. Une
femme l’a retrouvé. Mais n’allons pas trop vite et essayons de comprendre
pourquoi Jésus, l’homme public par excellence, celui qui est sans cesse décrit
dans l’Evangile comme entouré de foules, celui qui vient de nourrir des
milliers d’hommes et de femmes, pourquoi veut-il se cacher ? Essayer de le
savoir peut surement nous aider à mieux le comprendre, le connaître et donc
l’aimer. Cela a sans doute aussi un lien avec la réponse faite à cette
syro-phénicienne.
Le 1er élément de réponse nous
vient des passages précédents : Jésus devient populaire mais il ne
veut pas le faire à la manière d’un candidat à l’élection présidentielle. Il
n’est pas le libérateur politique attendu par les juifs qui en ont assez de
l’occupation romaine. La tentation est forte pour certain de le voir selon leurs
propres critères d’analyse et non selon ce qu’Il est vraiment, qui ne sera
d’ailleurs pleinement révélé qu’après sa mort-résurrection. Ainsi en se
cachant, Jésus lutte contre ces fausses interprétations. C’est le secret
messianique, cher à l’évangéliste Marc. Comme Jésus le dira à sa mère à Cana,
l’Heure de la révélation n’est pas encore venue.
Voilà pourquoi dans un premier temps, Jésus
semble refuser à cette femme ce qu’elle demande. Jésus est venu pour manger à
la table des enfants de Dieu des fils d’Abraham. Dans un premier temps, le
salut est pour eux. Ils ont une priorité d’antériorité. Comprendre que les
païens sont aussi admis à la même table ne va se faire que progressivement.
Seul le Christ peut ouvrir sa grâce au-delà du peuple élu. Et devant la foi de
cette femme, son humilité à se contenter des « miettes », il accède à
sa demande. Comme il l’avait déjà fait pour le Centurion et son fils malade.
Jésus se cache donc pour mieux nous dire qui il
est. Pour ne pas se méprendre sur sa véritable identité. Il n’est pas un
magicien, il n’est pas l’un de ses thaumaturges qui fleurissaient au coin de
chaque rue à son époque. Il est le Fils de Dieu, le Messie. Cela aussi nous
avons à le comprendre. Pour guérir, il demande la foi. Pour nous guérir, il
demande notre foi. Elle implique de chasser toutes nos tentatives d’enfermer le
Christ dans ce que nous aimerions qu’il soit : celui qui va me faire
réussir mes examens, celui qui va résoudre les problèmes de notre monde, celui
qui va nous protéger de toute menace, celui qui va me donner des arguments
contre mes adversaires… « Vraiment, tu es un Dieu qui se cache, Dieu d'Israël, sauveur » s’exclame
Isaïe 45,15. Certes, un Dieu qui se cache mais pas un Dieu secret. Il n’a rien
à cacher. Seulement un mystère qui ne s’épuise pas en un instant mais qui nous
oblige sans cesse à nous approcher de la Vérité, à ajouter chaque jour un fil
nouveau comme dans un tissage particulièrement complexe qui se complète
toujours mais ne sera pleinement achevé que lors du face à face final.
« Notre cœur
est sans repos tant qu’il ne repose en toi » rappelle saint Augustin.
Notre Dieu se cache car c’est en nous qu’Il vient demeurer. C’est à l’intérieur
de notre cœur qu’Il vient habiter. « Que j’enfante à nouveau, dit Saint
Paul aux Galates, afin que le Christ soit formé en vous ».
Dans quelques jours,
le 11 février, nous allons célébrer l’anniversaire des apparitions à Lourdes,
de ces jours où la Dame est apparu à Bernadette. Et notamment ce 25 février
1858. Bernadette raconte : "La Dame me dit d'aller boire à la source (…). Je ne
trouvai qu'un peu d'eau vaseuse. Au quatrième essai je pus boire. ». La source jaillit de
la boue. A la 4é reprise seulement, elle devient buvable. Depuis la source
n’arrête plus de couler et d’être un signe d’espérance pour des millions de
pèlerins. Il faut faire jaillir le Christ de nos vies en enlevant la gangue de
boue qui entoure notre cœur et qui le cache, le démon qui peut être en nous mais
que le Christ chasse d’un mot, d’un acte de volonté, comme pour la jeune fille
de l’Evangile.
Cette force et cette
joie humble et intérieure, que rien ne peut atteindre parce qu’elle est de
Dieu, en Dieu, est bien ce que nous pouvions percevoir dimanche soir à la fin
d’Ecclésia Campus. Une vitalité, une fraternité, une joie de vivre qui se
lisait encore sur tous les visages. Ceux des étudiants accueillis comme ceux
des volontaires, alors même que certains venaient de se donner au service
quasiment sans discontinuer pendant 24 voir 48h.
Notre Dieu se cache
parce que nous le savons, Il n’est pas dans l’ouragan ou le tremblement de
terre mais dans le souffle d’une brise légère. Pour mieux se révéler. « Dans
cette Révélation, le Dieu invisible s’adresse aux hommes dans son immense amour
ainsi qu’à des amis (…) pour les inviter à partager sa propre vie » nous
rappelle le concile Vatican II dans Dei Verbum. Il ne se cache pas parce qu’Il
a peur… Notamment, il n’a pas peur des autres dieux de Salomon. Il triomphera
de tous. Il donne sa grâce au peuple élu comme aux païens. Son amour va au-delà
de toute frontière car il fait de nous « ses amis ».
Jésus se cache aussi
parce qu’il a besoin d’être en relation privilégiée avec son Père… dans le
silence. Benoit XVI vient de le rappeler dans son dernier message pour la
journée des moyens de communication : « Le Dieu de la révélation biblique parle
également sans paroles : « Comme le montre la croix du Christ, Dieu parle aussi
à travers son silence. Le silence de Dieu, l'expérience de l'éloignement du
Tout-Puissant et du Père est une étape décisive du parcours terrestre du Fils
de Dieu, Parole incarnée. (...) Le silence de Dieu prolonge ses paroles
précédemment énoncées. Dans ces moments obscurs, il parle dans le mystère de son silence. » (Exhortation apostolique postsynodale,
Verbum Domini, 30 septembre 2010, n. 21)
« Chaque jour,
j’entends dire : mais où est-il ton Dieu ? » s’exclame le
Psalmiste, comme beaucoup de nos contemporains. Notre Dieu se révèle aux cœurs
qui le cherchent. Donne-nous, Seigneur d’être de ceux là. Sans repos, tant que
nous demeurons en toi. Donne-nous d’être chacun un visage nouveau, différent,
complémentaire du Christ pour ce monde, témoin joyeux d’un Christ qui ne peut
se cacher que dans le petit, le faible, l’humble, le discret, les miettes. Mais
qui est là, présent, donné pour le salut du monde.
Amen !