Homélie 2é dimanche de Carême 2012
Frères et Sœurs,
Il y a des dimanches où la liturgie nous offre
des textes d’une richesse particulière. Ce 2é dimanche de Carême en est un. La
première lecture nous raconte l’épisode du sacrifice d’Isaac. Et l’Evangile est
celui de la Transfiguration. Ainsi vous voyez le prédicateur devant l’embarras
du choix. Mais reposons-nous la question centrale : comment ces textes
vont-ils, dans la semaine qui vient, nous aider à vivre ce temps de
Carême ? Car nous voyons bien qu’ils sont tous tournés vers ce double
moment fondamental pour notre foi :
-
la mort de Jésus avec le sacrifice
retenu d’Isaac, le fils bien aimé d’Abraham
-
sa résurrection avec la
Transfiguration.
Sans doute est-il important au cours de ce
Carême de nous remettre devant ce mystère central, devant le but de tous nos
petits efforts consentis pendant cette période : qu’ils soient de prière,
de partage ou de jeune ?
Car si nous avons décidés, seul ou en
communauté, de renouveler notre vie de prière, de l’enrichir un peu, c’est bien
par amour du Christ mort et ressuscité.
Si nous avons décidés de partager non seulement
de notre superflu mais aussi de notre nécessaire, c’est bien par amour du
Christ mort et ressuscité.
Et si nous avons décidés de jeûner de
nourriture mais aussi de tout ce qui peut envahir notre vie, c’est par amour du
Christ, mort et ressuscité.
Sans une référence constante au Christ, Fils de
Dieu, mort et ressuscité pour nous sauver, nous coupons l’indispensable lien à
la source vitale de notre Foi.
Ainsi regardons le témoignage d’Abraham qui
répond sans cesse fidèlement « me voici » aux appels de l’ange du
Seigneur, aussi étranges puissent-ils être comme le sacrifice de son fils
unique, « celui qu’il aime » précise bien l’Ecriture. Abraham sait
que la volonté de Dieu est bonne. Il fait donc confiance, une confiance aveugle
à Celui qui le guide et qui guide son peuple. Et qui manifeste encore dans ce
récit qu’Il est un Dieu qui ne veut pas la mort mais la vie. Abraham est
évidemment un immense modèle de foi qui fait de lui le Père de tous les
croyants. Parce qu’il sait que nous sommes pas tous à l’image d’Abraham dans
une telle relation de confiance, Jésus nous invite à avoir de la foi même
« grosse comme une graine de moutarde », c’est à dire une des plus
petites graines qui existent. Peut être serait-il bon que nous nous demandions
où en est ma foi ? Qu’est-ce que je suis capable d’attendre de Dieu ?
Est-ce que je sais que ce qu’il me donne est bon même si le chemin est
étrange ? Abraham partit sans savoir où
il allait nous rappelle la lettre aux Hébreux. Mais il est parti dans la
confiance. Vivons ce chemin du carême, cette route au désert, dans la confiance
renouvelée, renforcée en un Dieu qui nous guide sur un chemin de vie.
Mais regardons aussi Pierre dans l’Evangile.
Avec Jacques et Jean, il fait partie de ce trio privilégié que Jésus emmène à
l’écart, sur une haute montagne. Ils le suivent sans savoir ce qu’ils vont
faire là-haut. Sans doute prier. Vivre un moment d’intimité avec Jésus, avec Dieu.
On peut penser à quelque chose de sobre, de calme, une sorte de retraite, de
réco. Et voilà « qu’il fut transfiguré devant eux ». Et voilà les
grands Anciens, Elie et Moïse, qui bavarde avec Jésus. Et voilà, qu’une voix
venue du ciel ; comme lors du baptême dans le Jourdain,
dit : « celui-ci est mon Fils bien aimé, écoutez-le ». Bien
que l’évangéliste Marc qui nous rapporte cette scène reste sobre, fidèle à son
style, nous sommes plutôt dans une scène de cinéma à grands effets. Le metteur
en scène aurait pu obtenir l’oscar des meilleurs effets spéciaux. Grande
frayeur chez les apôtres mais pourtant Pierre propose de rester là et de
planter la tente. Car au milieu de cette révélation sûrement bouleversante, il
devait se trouver bien. Lorsque Dieu se révèle et nous parle, lorsqu’Il nous
montre ce qui nous attend, la compagnie des ressuscités, l’envie est grande d’y
rester car on s’y sent bien. Comme ce petit presbytère au bord de la mer dans
un autre diocèse breton que je suis allé visiter récemment. En plus d’être les
pieds dans l’eau face à un joli petit port, il était aménagé avec beaucoup de
goût et d’attention pour accueillir ceux qui y passeront. Mais Jésus rappelle
ses disciples à la réalité. Ils ont vécu un temps de béatitude sur la
montagne mais l’heure n’est pas venue de s’y installer. Il faut redescendre. Il
faut affronter les épreuves à venir et surtout l’épreuve suprême, celle de la
mort. L’évangile aurait pu s’arrêter là, à la Transfiguration. Nous serions
assez aisément passé directement à l’Ascension sur cette haute montagne. Mais
non. Pierre et les autres durent accompagner Jésus sur le chemin de la croix.
Et nous savons combien cela fut difficile. Il y eut même des reniements. Par
trois fois pour Pierre. Ce qu’ils ont vécu lors de cette Transfiguration, n’est
encore qu’un pâle reflet de la résurrection à venir. Voilà le but. Pour Jésus
le Christ. Pour nous aussi. Voilà le but de notre Carême. « Les yeux fixés
sur le Christ, entrons dans le combat de Dieu » disait une antienne du
bréviaire. Car si par moment, nous pouvons nous sentir sur la montagne avec le
Transfiguré, nous sommes plus souvent dans la vallée de notre vie quotidienne,
de nos soucis et difficultés ou de nos joies aussi. Sans oublier que le
Seigneur reste à nos côtés. Lui aussi est redescendu de la montagne. Il nous
invite à poursuivre le chemin avec confiance. Le Carême devrait être un chemin
de Transfiguration. Avec le Christ nous passons de notre condition de mortel à
celle de ressuscité. Mais c’est un long chemin. Abraham, Pierre et tant
d’autres nous l’ont tracé avant nous.
Frères et Sœurs,
Il nous faut donc vivre ce temps de carême ici
et maintenant, concrètement, dans des actes d’amour posés chaque jour. Mais
avec le regard fixé sur l’avenir que le Christ nous a annoncé par sa Transfiguration
mais surtout par sa mort et sa résurrection. Madeleine Delbrêl a écrit « Si
tu vas au bout du monde, tu trouveras la trace de Dieu. Si tu vas au bout de
toi-même, tu trouveras Dieu lui-même ».