Homélie de la Présentation du Seigneur au Temple
Homélie par le Fr. Christophe de Nadaï, op
Lc 2, 22-40 ; dimanche 2 février (Présentation) ; Saint-Malo
Tout premier-né de sexe masculin sera
consacré au Seigneur, prescrivait la Loi de Moïse. Cette consécration, qui
consistait en une simple présentation de
l’enfant nouveau-né à l’autel du Seigneur, était une des manières dont la
mémoire des juifs remerciait le Seigneur de ce que son ange, en frappant les
aînés de l’Egypte, avait épargné les enfants d’Israël, et procuré ainsi à son
peuple les conditions de son salut. La famille reconnaissait ainsi que, dans la
personne de ce fils aîné qui aurait charge de transmettre le nom et les saintes
traditions, elle appartenait, avec tout Israël, au Dieu de l’univers. Le Seigneur,
qui avait racheté les Hébreux de la maison
de servitude, voulait-il les faire passer dans un nouvel esclavage ?
Non. Mais au contraire, il invite les parents à un pèlerinage à Jérusalem, où
la simple présentation de leur aîné leur vaut la liberté que le Seigneur a
voulu leur départir, et dont il est lui-même le fondement.
Voilà
ce que la loi prescrivait pour le premier-né. Mais saint Joseph et la Vierge
Marie venaient aussi présenter en
offrande le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de
tourterelles ou deux petites colombes. La loi en disposait ainsi
relativement au sang qui se répand lors des naissances ; car le sang est
une chose sainte : en lui réside le principe de la vie, qui vient, non de
la terre, mais directement du Dieu créateur ; et quoique cette effusion de
sang lors de la mise au monde d’un enfant ne soit point volontaire, elle
donnait lieu à cette cérémonie de la purification, occasion pour les juifs
d’honorer le Seigneur Dieu d’Israël comme étant le maître de la vie.
Gardons-nous
de mépriser ces pratiques qu’observaient nos pères dans la foi, et que Dieu
lui-même leur avait enseignées dans sa loi sainte. Admirons plutôt les égards
qu’ils marquaient pour tout ce qui se rapportait à la vie et jusqu’à ses
symboles. Notre siècle, que nous voyons disposer de la vie avec tant de
légèreté dans les lois qu’il publie aujourd’hui, serait mieux inspiré de prendre
conseil de l’esprit qui présidait à la loi divine d’Israël.
La
Vierge Marie se fit prophète en ce jour en proclamant justement la sainteté de
cette loi, en allant se prêter à cette cérémonie de la purification, alors
qu’elle était pour elle sans objet véritable. En effet, le sang, pour elle,
n’avait pas coulé. Il ne convenait pas en effet que le Fils unique de Dieu, le
maître de la vie, fît répandre le sang en venant en ce monde, fût-ce le sang de
sa divine mère qui, selon notre foi, est demeurée vierge jusqu’en son
enfantement.
Mais
si la purification de la sainte Vierge est donc étonnante jusque dans les
termes eux-mêmes, la consécration de Jésus l’est encore davantage. Car quelle
nécessité de consacrer à Dieu celui qui était en vérité le Dieu trois fois
saint, et dont l’humanité se trouvait sainte dès l’instant que Dieu avait
résolu d’unir en lui son Fils à notre humanité, mystère accompli par le oui de
Marie à l’ange Gabriel ?
Quand
il ne se fût agi, pour Marie et Joseph, que d’humilité et d’évitement du
scandale, et de laisser le soin à Jésus de découvrir lui-même aux humains qui
il était en vérité, cela suffisait pour justifier qu’ils vinssent se prêter
dans le temple à cette double cérémonie. Mais il y a plus sans doute :
c’est que cette humilité qui se distingue dans les parents du Christ est un
rejaillissement de l’humilité même de ce Jésus qui, ayant, dit saint Paul, la condition
de Dieu, refusa d’être traité selon sa condition véritable. Je sais fort bien qui tu es : le Saint,
le Saint de Dieu, crieront un jour les démons dans les villages où il ira
porter ses pas ; et lui leur imposera silence. Il ne veut pas être réputé
pour le Dieu saint, mais pour un homme consacré au Dieu saint. Et ce qui est plus
étonnant encore, il veut vivre à ses propres yeux et aux yeux de son Père, non
pas comme le Fils éternel, mais comme un humain consacré à Dieu et dont tous
les désirs tendent au service de Dieu. La Lettre aux Hébreux déclare à son
propos, qu’il apprit, tout Fils qu’il
était, l’obéissance, lui l’égal du Père. A l’heure où il entrait dans le
monde, dans le sein de la Vierge Marie ; à l’heure où l’esprit de l’homme
n’est donc pas encore formé, mais où déjà l’âme est présente, le Christ déclara
en son âme à son Père, dit encore la même Lettre aux Hébreux, Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté.
Dans la synagogue de Capharnaüm, songeant à l’Esprit-Saint descendu sur lui
comme il venait de se faire baptiser dans le Jourdain, il proclama avec
Isaïe : l’Esprit de Dieu m’a
consacré. Eh ! quoi ? n’était ce pas assez d’être saint comme
Fils éternel, qu’il voulusse se déclarer comme appartenant ainsi à Dieu par
l’Esprit-Saint ? Et surtout, la veille de sa passion, à l’heure suprême de
sa vie sur notre terre, il dit à ce Père, à propos de ses disciples : Pour eux je me consacre moi-même, afin
qu’eux aussi soient consacrés dans la vérité.
Dans
cette parole se découvre l’ultime fondement que nous cherchions pour ce grand
mystère, par lequel le rédempteur a voulu être racheté ; l’instituteur du
baptême, baptisé ; et le Saint de Dieu, consacré : il désirait que sa
propre consécration rejaillît de lui jusqu’à ceux que le baptême allait unir à
son humanité.
Et
il est assurément bien remarquable qu’aussitôt que cette consécration est
rendue publique par la présentation que Marie et Joseph font dans le temple de
Dieu de leur Fils premier né, les mouvements et les sentiments qui lui sont
propres se manifestent dans les cœurs des témoins. C’est ainsi que le vieillard
Syméon se met à bénir Dieu dès qu’il
a Jésus dans ses bras. Bénir Dieu :
voilà certainement la vraie destinée de l’homme, et la plus étonnante. Car
n’est-ce pas Dieu qui bénit l’homme, et le comble de ses bénédictions ?
Mais l’homme, au lieu d’être écrasé devant ce Dieu qui vient jusqu’à lui, est
élevé par lui, et se trouve admis à lui rendre toutes grâces et bénédictions
reçues, en le louant dans ses temples, en publiant au monde ses bienfaits, et
en donnant pour principe et pour terme à ses pensées et actions le service d’un
Dieu si grand et si bon.
Tel
est l’heureux destin de l’homme, que le Seigneur avait fixé pour l’homme dès
l’instant qu’il fut créé. Cette occupation naturelle de l’homme fut interrompue
par le péché, et rétablie en Jésus, et par Jésus en nous, à condition, mes
frères, que nous prenions, comme Syméon, Jésus-Christ entre nos bras, afin
qu’il imprime au cœur de l’Eglise et au cœur des enfants de l’Eglise, les
mouvements et les désirs de son cœur sacré.
Votre
curé a désiré honorer la vie consacrée en m’invitant, comme religieux, vous
donner l’homélie en cette fête du Seigneur. Les religieux et les vierges
consacrées ne sont cependant pas davantage religieux et consacrés que ne le
sont les chrétiens par le baptême. Mais leur consécration étant, de par sa
nature même, manifeste et public, ils manifestent et publient, par une forme de
vie qui visiblement a pour objet le culte et le service de Dieu, la
consécration même du baptême que le reste des chrétiens s’efforce de vivre dans
une vie qui ne se signale par nulle institution particulière. Et s’il a plu a l’Eglise,
depuis des siècles, de favoriser l’établissement de la vie religieuse, c’est
qu’elle y voit un signe précieux pour avertir les chrétiens de leur propre
consécration, afin qu’ils ne cessent de bénir Dieu en tenant Jésus dans leurs
bras, et pour avertir le monde même de la vérité de ce Dieu à qui l’humanité
est destinée.
Fr. Jean-Christophe de Nadaï, op