Et la Lumière fut !
«Le
visage en sang, Jacques hurle : «Mes yeux ! Où sont mes yeux ?» Il vient de les
perdre à jamais. En ce jour d'azur, de lilas et de muguet, Jacques entre dans
l'obscurité. Il a 8 ans. Nous sommes en 1932.
Sans
doute, peu d’entre vous connaissent l’histoire de Jacques Lusseyran. Pourtant
elle est extraordinaire. Car s’il est resté aveugle jusqu’à sa mort en 1971, il
a vraiment eu une vie extraordinaire.
A
dix-sept ans, malgré sa cécité, il a fondé, avec quelques amis étudiants, un
réseau de résistance qui comptera jusqu’à 600 membres à travers toute la France
à la fin de 1942 : les Volontaires de la liberté. Ils distribueront un
journal libre qui tira clandestinement jusqu’à 250 000 exemplaires. Il sera
déporté au camp de Buchenwald. Il en a réchappé grâce à sa pratique de l’allemand
et à une force spirituelle selon ce qu’il écrit. Justement, le plus étonnant
chez Jacques Lusseyran est ce qu’il a écrit par rapport à son handicap.
Quelques
jours après son accident, son père l’emmène sur son lieu de promenade
préféré : le Champ de Mars à Paris. Il raconte :
« Je connaissais
bien ce jardin. Je connaissais ses bassins, ses grilles, ses chaises de fer. Je
connaissais même en personne quelques-uns de ses arbres. Et bien sûr c'étaient
eux que je voulais revoir, et que je ne voyais plus. Je crus un instant le
monde perdu. Je jetai mes yeux en avant comme des mains, dans le vide. Rien ne
s'approchait plus, rien ne s'éloignait plus de moi. Les distances exténuées se
chevauchaient ; elles ne jalonnaient plus l'espace de leurs petits rayons
clignotants. Tout semblait épuisé, éteint, et je fus pris de peur. Je me jetais
en avant dans une substance qui était l'espace, mais que je ne reconnaissais
pas car rien d'accoutumé ne l'emplissait plus. C'est alors qu'un instinct
(j'allais presque dire : une main se posant sur moi) m'a fait changer de
direction. Je me suis mis à regarder de plus près. Non pas plus près des choses
mais plus près de moi. A regarder de l'intérieur, vers l'intérieur, au lieu de
m'obstiner à suivre le mouvement de la vue physique vers le dehors. Cessant de
mendier aux passants le soleil, je me retournai d'un coup et je le vis, de
nouveau : il éclatait là dans ma tête, dans ma poitrine, paisible, fidèle. Il
avait gardé intacte sa flamme joyeuse montant de moi, sa chaleur venait battre
contre mon front. Je le reconnus, soudain amusé, je le cherchais au-dehors
quand il m'attendait chez moi. Il était là. (…) Je vis la bonté de Dieu et que
jamais rien, sur son ordre, ne nous quitte. La substance de l'univers s'était
condensée à nouveau, s'était redessinée et repeuplée. J'ai vu un rayonnement
partir d'un lieu dont je n'avais aucune idée, qui pouvait être aussi bien hors
de moi qu'en moi. Mais un rayonnement ou, pour être plus exact, une lumière, la
Lumière. C'était une évidence : la lumière était là. Je me mis à éprouver un
soulagement indicible, un contentement si grand que j'en riais. Le tout
accompagné de confiance et de gratitude comme le serait une prière exaucée. Je
découvrais dans le même instant la lumière et la joie. Et je puis dire sans
hésiter que lumière et joie ne se sont jamais plus séparées dans mon expérience
depuis lors. » Extrait de « Et la lumière fut » de Jacques
Lusseyran – Editions le Félin – collection Résistance – Paris 2005 – p. 26 et
27
Etonnante
expérience physique, si proche de l’expérience mystique de Saint Augustin qui
écrit ceci dans ses confessions :
« Tard
je t'ai aimée,
ô
beauté si ancienne et si nouvelle,
tard
je t'ai aimée !
Mais
quoi ? tu étais au dedans de moi,
et
j'étais, moi, en dehors de moi-même.
Et
c'est au dehors que je te cherchais !
(…)
Tu
m'as appelé,
et
ton cri a forcé ma surdité ;
Tu
as brillé,
et
ton éclat a chassé ma cécité ». Saint Augustin.
Oui,
Jacques Lusseyran, comme Saint Augustin, a compris que la lumière, la vraie
lumière est au dedans. Expérience si importante. Car tout à l’heure quand vous
allez sortir de cette église, vous pouvez encore être quelques peu illuminer
par la joie pascal. Mais au premier souffle de vent, elle peut s’éteindre. Et
alors ? Vous serez dans la nuit, dans le noir. Comme un aveugle. Sauf si
vous pensez comme Jacques à ne pas regarder trop loin. Mais au dedans.
Retrouvez la lumière, la vraie lumière, celle qui est intérieure et qui ne
s’éteint jamais. Elle est née dans la nuit de Pâques. Elle s’est levée au matin
de Pâques. Elle irradie du tombeau ouvert et depuis elle illumine le cœur des
hommes qui l’ont reconnue, perçue en eux. « Il vit et il crut ».
Frères
et Sœurs,
Tous
nous vivons des aveuglements, des nuits. Parfois l’actualité nationale,
internationale ou même les évènements familiaux obscurcissent nos vies. Pensons
à ce drame des 148 chrétiens exécutés cette semaine au Kenya en raison de leur
foi au Christ. Aujourd’hui, la résurrection du Christ vient y faire briller sa
lumière. Toute intérieure. Toute personnelle. Si elle a brillé dans les yeux de
l’aveugle Jacques Lusseyran, pourquoi ne brillerait-elle pas en nous ?
Mais
comment se présente la lumière que nous offre Jésus ?
Le
Pape François explique dans une méditation : « Nous pouvons la reconnaître parce que c’est une lumière humble. Ce
n’est pas une lumière qui s’impose, elle est humble. C’est une lumière douce,
qui a la force de la douceur ; c’est une lumière qui parle au cœur et c’est
également une lumière qui offre la croix. Si nous, dans notre lumière
intérieure, nous sommes des hommes doux, nous entendons la voix de Jésus dans
le cœur et nous regardons sans peur la croix dans la lumière de Jésus. » Dans
la lumière de la Résurrection.
Alors
vas-tu accueillir la lumière de la Résurrection en ton cœur ? La question
est posée à chacun de nous. Et chacun doit y répondre en son cœur. Par notre
baptême, nous avons été illuminés. Cette nuit, prés de 5000 jeunes et adultes
en France ont été illuminés par le baptême. Il nous faut choisir la lumière
contre les ténèbres. C’est une décision à prendre. Aujourd’hui.
Certes,
Jacques Lusseyran explique qu’ « il
y avait des cas où la lumière diminuait au point presque de disparaître :
c’était chaque fois que j’avais peur. Si au lieu de me laisser porter par la
confiance, j’hésitais, je calculais, tout devenait hostile, je me cognais aux
meubles, aux murs, aux portes. » C’est donc bien la peur qui nous
aveugle. C’est la peur qui empêche les femmes au tombeau de faire confiance
dans la parole du jeune homme rencontré, peut être le Christ, qui veut les
apaiser en leur disant : « N’ayez pas peur ». Ainsi il veut
leur rendre la vue, la lumière, la vraie lumière. Puis il les invite à
« allez dire », à porter témoignage de ce qu’elle ont vu. Car cette
lumière, elle n’est pas à garder pour nous. Il nous faut chasser la peur qui
peut nous paralyser. Qui peut nous empêcher de témoigner autour de nous car
elle peut éteindre la lumière. C’est la peur qui a retenue Marie et les apôtres
au Cénacle. C’est la peur aussi qui aujourd’hui nous empêche de témoigner de
notre foi dans cette société qui pousse la laïcité un peu trop loin. « Le danger pour la communauté catholique est
de se recroqueviller sur elle-même. Je dis à mes amis catholiques : ne
laissez à d’autres le débat ! Votre vocation est de porter une espérance
dans la société. Nous avons besoin d’enfants de lumière en politique ! ».
Celui qui dit cela, ce n’est pas le Pape. C’est un homme politique
français qui semble bien connaitre Saint Paul. « Mais vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres... tous vous êtes
des fils de la lumière, des fils du jour. » (1 Th 5, 1-6.9-11).
Ce
matin, le soleil s’est levé. La lumière a brillé sur le monde. Et s’il y avait
eu des nuages, tant pis ! Nous savons bien que le soleil de Dieu est là,
derrière… Ou plus exactement, le soleil de la résurrection sera en dedans de
nous. Il nous a réchauffé le cœur. Et rien ne pourra plus l’enlever. Chassons
la peur. En ce jour, nous célébrons le
cœur de notre foi chrétienne. Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est
vaine ! D’ailleurs, le Pape François ne s’y est pas trompé. Sa première
encyclique s’intitule : « la lumière de la Foi ». C’est de cette
lumière, profondément enracinée en nous dont nous devons être les témoins
aujourd’hui au cœur du monde qui est le notre.
Témoins
de la Foi,
Témoins
de l’Amour,
Témoins
de l’Espérance
qui
brillent comme un feu dans la nuit !
Amen !