Comme Harry Potter à Poudlard, à l’école de l’Invisible !
Pour répondre à cette question, il
aurait pu suffire de relire le numéro 59 de la nouvelle Ratio Fundamentalis
enrichie des références citées en note. Elle reconnait dorénavant la
propédeutique comme une « étape
indispensable de la formation ». Mais cette reconnaissance officielle
de la nécessité des propédeutiques ou années de fondation spirituelle n’est pas née
de nulle part. Permettez-moi d’abord un très rapide historique.
Déjà le Concile Vatican II dans Optatam
totius au n°12 écrivait : « Pour fonder de manière
plus solide la formation spirituelle et pour que les séminaristes puissent
ratifier leur vocation pour une option mûrement délibérée, il appartiendra aux
évêques d’instituer, pendant une durée convenable, un entraînement spirituel
plus poussé. » 28 octobre 1965.
Puis en 1980, une circulaire de la Congrégation pour
l’Education Catholique évoquait cette suggestion. « L’expérience montre qu’une période de préparation au
Séminaire, consacrée exclusivement à la formation spirituelle, non seulement
n’est pas superflue, mais peut apporter des résultats étonnants ». A
la suite de quoi de nombreuses expériences de propédeutiques apparurent dans
plusieurs continents : Europe, Amérique, Asie et Afrique. A Paris, c’est
en 1984, sous l‘impulsion du Cardinal Lustiger, qu’est fondée la Maison Saint
Augustin (soit il y a 33 ans).
Le Saint Pape Jean Paul II, à la suite
des Pères Synodaux de 1990, dans PDV n° 62 – 25 mars 1992, fait à nouveau une
recommandation pour une période de
préparation humaine, chrétienne, intellectuelle et spirituelle pour les
candidats au grand séminaire sans en préciser vraiment les contours. Ainsi,
au Séminaire de Rennes, des éléments de propédeutique ont pu être intégrés dans
les années 1990 (expériment de pauvreté en première année et 30 jours de St
Ignace en 2é année).
42 ans après la première impulsion du
Concile Vatican II, en 2007, nous posions ici la pierre de fondation de la
Maison Charles de Foucauld pour nos diocèses de la Province de Rennes, associés
dès le début avec ceux de la Basse-Normandie, à la demande des Services des
Vocations.
À la vue de notre propre expérience à la
Maison Charles de Foucauld pendant quatre années et dans la Pastorale des
Jeunes pendant près de 15 ans, essayons de comprendre pourquoi cette étape est
aujourd’hui, au souhait du dernier document romain, un passage obligé ?
Qu’est-ce qui justifie une telle évolution ?
Avant les Père Desgrée du Lou et Bourget
qui traiteront chacun d’une optique différente, permettez-moi d’éclairer cette
réflexion de convictions personnelles venues de l’observation des jeunes
candidats eux-mêmes et de leur besoin. Je voulais au départ me limiter au
chiffre symbolique de 7 convictions… Puis je suis rapidement arrivé à 12 ce qui
n’est pas moins symbolique.
Avant d’aller plus avant, il faut redire
d’abord la grande diversité des candidats en âge, en milieu social, en cursus
de formation, en sensibilité ecclésiale. Elle ne s’est pas démentie au fil des
ans. Du jeune de 18 ans sortant du bac à l’adulte de plus de 30 ans ayant un
bagage universitaire et quelques années de travail salarié et l’expérience
affective qui peut aller avec ou pas, il serait très hasardeux de brosser un
portrait-type, qui à mon sens sonnerait faux. Méfions-nous ensemble des
simplifications et des stéréotypes si facilement colportables. Aussi ce que je relèverai devant vous tient
de grandes tendances qui peuvent, pour la clarté du propos, manquer parfois de
nuance. Ayant en face de moi des foucaldiens actuels ou anciens, celui qui ne
se retrouverait pas dans l’une ou l’autre conviction que je vais exprimer
voudra bien m’en excuser par avance.
1. Pour enraciner une expérience chrétienne. A la
demande du Service des Vocations de mon diocèse, alors que j’étais supérieur de
cette maison, il m’est arrivé de rencontrer un candidat à la vie de prêtre qui
n’avait aucun problème avec le fait qu’il n’allait pas à la messe et qu’il ne
connaissait rien à l’Eglise. Je ne dois d’ailleurs pas être le seul. Sans aller
jusqu’à cet extrême, l’expérience chrétienne de certains candidats est parfois légère
(elle remonte à l’enfance) ou quasi-absente ou partielle (un fort engagement
caritatif pas forcément lié à une vie spirituelle par exemple). Plusieurs ont
quasiment découvert la pratique de sacrement du Pardon et celle de
l’accompagnement spirituel. On comprend la nécessité, avant d’entrer dans une
formation plus poussée, d’une initiation globale aux réalités fondamentales de
la vie chrétienne.
2. Pour une déconnection dans un monde
hyper-connecté. L’adaptation des jeunes à ce monde des
nouvelles technologies a permis à Michel Serres d’inventer la Petite Poucette,
dans ce petit livre exquis où il analyse notre « période d’immense basculement ». Nous ne sommes qu’au début
de cette révolution. Et déjà, au lieu d’une condamnation toute illusoire, il
nous faut apprendre à vivre avec une utilisation intelligente de ces nouveaux
outils de communication. Près de Saint Malo, un hôtel de très grande classe
offre à ses clients le luxe d’un week-end déconnecté où l’on pose à l’accueil
son portable et où il n’y a pas de réseau WIFI. Pour le temps de purification
nécessaire à un choix, il est bon de proposer un usage résonné de ces
appareils, ce qui peut être un combat pour certains.
3. Pour unifier l’âme. On
connait l’expression très positive dans la bouche d’un jeune :
« c’est l’éclat’ total ». Pour être heureux, éclatons-nous. Mgr
Jullien, en son temps, avait déjà très justement remarqué l’ambiguïté d’une
telle expression. Dans un monde multi-culturel et pluri-religieux,
rejetant les frontières morales ou physiques, comment ne pas constater la dispersion,
pour ne dire l’explosion des normes à grande vitesse. Nous avons à faire à des jeunes éclatés qui
ont pourtant besoin d’unification. Une année spirituelle peut être ainsi le
fondement intégrateur et unificateur de toute une vie. Un ancien de la Maison
interrogé après avoir poursuivi plusieurs années d’études après avoir quitté la
MCdF m’a affirmé que cette année n’avait pas été pour lui du temps perdu mais
essentielle pour la suite.
4.
Pour faire
grandir une maturité humaine. Mon passage comme supérieur pendant
quatre ans ici m’a permis de développer une expertise dans un domaine assez
inattendu. Je suis devenu très vite un spécialiste de la Sécurité Sociale
étudiante. En effet, je me suis aperçu que certains des jeunes étaient
totalement ignorants de ces choses, qui peuvent pourtant avoir leur utilité. Ce
petit travers anodin peut cependant illustrer un manque de maturité,
d’autonomie. Et même parfois une appétence à rester dans les douceurs de
l’enfance. L’expérience m’a montré que l’âge n’est rien en l’affaire. La même
année j’ai eu un jeune de 18 ans très mature et un candidat de 30 ans qui s’est
révélé peu responsable. La rencontre avec le pauvre peut alors s’avérer très
formatrice et fondatrice pour grandir en humanité.
5.
Pour
affiner sa décision et répondre librement.
Le Cardinal Lustiger explique dans un petit opuscule sur le sujet qu’au
début de la création de la Maison Saint Augustin, il la présentait comme une
année de discernement. Or « nous
avons vite éprouvé les difficultés d’une telle définition. Car on risque de
confondre ce qui est à proprement parler le discernement des esprits et ce qui
relève de la matière d’une décision (…) Cette confusion nait d’une
manière naïve de la vision dont la volonté de Dieu se manifeste. Elle ne peut
qu’enfermer celui qui s’interroge dans les incertitudes et les ambiguïtés de
ces choix. » Ainsi, si bien évidemment une question de vocation
presbytérale est au point de départ la raison de l’entrée à la MCdF, c’est
l’ensemble des propositions faite au cours de l’année qui permettront d’affiner
paisiblement la décision finale. Les jeunes arrivent à la MCdF à la sortie
d’études supérieures ou d’un temps de travail en début de vie professionnelle.
Et s’il a bien fallu prendre un peu de temps pour discerner l’appel, rencontrer
le SdV, tout cela se fait comme entre « deux portes » avec au mieux
une retraite de quelques jours. Aussi c’est avec un certain bonheur qu’ils
envisagent cette année pour Dieu, « temps paisible de relecture » m’a
dit l’un d’eux qui ne les met pas d’emblée dans les « starting
blocks » du Séminaire.
6. Pour s’enraciner dans une Eglise locale. Dans le
village planétaire de Mc Luhan, les frontières de nos diocèses ont volé en
éclat. On nait à Quimper. On part habiter à Toulouse avec ses parents. On fait
ses études à Paris. On a son premier poste de travail à Hong Kong. Alors quand on
vous demande de quel diocèse vous êtes, la réponse n’est pas évidente. Il y a
30 ans, au Séminaire de Rennes, étant moi-même un de ces voyageurs, nous étions
encore une minorité de « déracinés ». Cela a bien changé. Aussi le
temps d’une découverte ou redécouverte de ses racines anciennes ou à venir est
loin d’être inutile. Chacun de nos diocèses a son histoire, ancré dans un
terroir, qu’il est bon de connaitre.
7. Pour apprivoiser le silence et sortir du bruit
de fond ambiant. « On ne comprend absolument rien à la
civilisation moderne si l'on n'admet pas d'abord qu'elle est une conspiration
universelle contre toute espèce de vie intérieure. » écrit Bernanos (la
France contre les robots, 1946). La circulaire romaine de 1980 écrivait : « les garçons généreux qui se
présentent viennent d’un monde où le recueillement intérieur est rendu presque
impossible par une surexcitation permanente de la sensibilité et une surcharge
de la pensée. » Le silence est tout à la fois une excellente école
d’oraison mais aussi une manière d’approfondir la connaissance de soi.
8.
Pour
répondre au besoin de se donner, d’une radicalité de vie. La jeunesse
est un âge de la radicalité. Si les pavés de 68 sont bien retombés, on aurait
tort de penser que l’engagement des jeunes s’est amoindri. Il s’est plutôt
trouvé de nouveaux chevaux de batailles. Les exemples sont nombreux et mis en
valeur : des coups de cœur caritatifs aux tours du monde en trottinette
pour rencontrer les adeptes du coton bio et équitable. Faire ce break d’un an à
la MCdF n’est peut-être pas aussi exotique (encore que vivre un an à Saint
Pern, Saint quoi ?) mais il peut représenter cette expérience forte tout
en restant dans une contrainte de temps réaliste.
9. Pour
nous tenir dans l’espérance d’un Dieu qui appelle. Une chose m’a particulièrement
étonné avec la construction des nouveaux bâtiments de la MCdF : voir
l’enthousiasme que cette maison suscitait. Aux yeux des jeunes comme de tous
les visiteurs : elle était et demeure le témoignage évident de la
confiance des évêques et des diocèses de l’Ouest dans l’avenir de nos Eglises
et des vocations presbytérales. Si nous comprenons bien avec le Pape François
que le temps est supérieur à l’espace, particulièrement lorsque nous pensons à
la question du développement d’une vocation, il ne s’agit pas de priver toute
signification à l’espace. Et ce lieu alliant l’antique granit breton et la
modernité du bois est un signe fort dont la jeunesse a besoin.
10. Pour rencontrer des prêtres dans leur
diversité, qui ne sont ni des supermen adulés ni des prédateurs sexuels honnis
! Nous constatons aisément un brouillage voire un discrédit de l’image du
prêtre dans notre société. Certains jeunes en connaissent. Certains ont même
rencontré un père spirituel qui fut parfois comme un père de substitution
entrainant une certaine tendance à l’adulation. Il y a donc à la fois besoin de
mise à distance et de rencontrer la diversité des profils des prêtres
diocésains aujourd’hui pour arriver à se projeter. Même si l’exercice est
aujourd’hui très périlleux dans ces temps de profonds remaniements pastoraux.
11. Pour une stabilité affective dans un
cadre communautaire face à des relations familiales potentiellement complexes.
La maturité affective de chaque candidat est très variable. Le milieu de
l’enfance et de l’adolescence ont pu créer des blessures plus ou moins grandes,
plus ou moins guéries. Les jeunes de la MCdF n’ont pas été élevés dans un
cocon. Il y a donc lieu de créer un climat sécurisant et constructif pour que
s’épanouisse une humanité.
12. Pour apaiser les divisions intra-ecclésiales. Dans sa
dernière homélie à Lourdes comme archevêque de Paris, le Cardinal André
Vingt-Trois portait cette forte interrogation sur l’Eglise dans notre
pays : « Notre christianisme ne
perd-il pas peu à peu de son enracinement dans le grand nombre, avec tout ce
qu’il peut y avoir d’incertain, d’imprécis et d’inégal dans l’adhésion
personnelle de chacun ? Est-ce que nous ne passons pas du christianisme du
peuple au christianisme des individus très soigneusement étiquetés, mesurés,
vérifiés ? Mais si peu nombreux ! Cette Église ne risque-t-elle pas de devenir
une Église des purs dont on s’apercevra peut-être un jour qu’ils n’étaient pas
si purs que leur piété le laissait penser ? » Chacun pourra avoir son
avis sur le sujet. Mais la question a le mérite de nous interroger sur les
évolutions de l’Eglise en France dans les dernières années et le développement
de courants à l’identité affirmée. Cela peut marquer aussi les candidats. La
confrontation existentielle d’une vie communautaire et l’attachement au Christ
peut ainsi être une bonne émulation.
Finalement,
je garde une treizième conviction que je ne développerai pas :
13. Pour vivre le lien entre Pastorale des Jeunes et
discernement vocationnel comme le prochain synode des jeunes nous y invite.
En faisant cette liste, je m’aperçois de
toutes les convictions que j’ai laissé de côté et qui pourtant peuvent être
nées de l’expérience vécue ici. Je voudrai conclure en racontant cette anecdote
des mois de préparations avant l’ouverture de la Maison. Après avoir rédigé la charte
constitutive, choisi un lieu, commencé à réunir une équipe pédagogique, je
rencontrai les candidats… Avec une certaine appréhension. Leur SdV venait de
leur apprendre cette nouveauté… Et moi je parlai d’un projet de papier… Et là,
à mon grand étonnement, pas moindre des années plus tard, j’entends encore l’un
d’eux me dire, résumant le sentiment de plusieurs autres : « je ne
serais pas rentré au Séminaire, si vous ne m’aviez pas proposé l’année de
Fondation Spirituelle à la MCdF ». Cela résume bien aussi la teneur de mon
propos.
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Au final, pourquoi la Maison Charles de
Foucauld ? Non parce qu’elle serait
une préparation intellectuelle au Séminaire. Non parce
qu’elle serait un Club Med de discernement.
Mais parce que c’est une année de fondation spirituelle c’est-à-dire une école de la Sainteté, autrement dit une école de la Charité car « l’amour est peut-être l’épreuve la
plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de
nous-même… C’est pour cela que les êtres jeunes ne savent pas encore aimer ;
ils doivent apprendre… et tout
apprentissage est un temps de clôture ». Rilke, Lettre à un jeune poète.